** spoiler alert ** Inclassable, rocambolesque, terrifiant et... décevant. Tels sont les adjectifs qui me viennent pour décrire Hobboes de Philippe Cavalier. L'auteur nous embarque dans une aventure détonante mélangeant tantôt enquête type polar/thriller, tantôt voyage initiatique dans l'esprit du "road book", tantôt critique sociétale au travers d'un imaginaire dystopique et pre-apocalyptique, type roman d'anticipation.
L'idée du livre est intéressante et novatrice. Le récit proposé illustre et met en scène la notion quelque peu abstraite (mais très en vogue) de l’essoufflement du système capitaliste et de ses conséquences. La construction du roman est bien élaborée et le lecteur arrive à suivre le fil narratif assez aisément, malgré la multitude de personnages vivant des péripéties a priori isolées. On est à la fois agacé et admiratif face aux fausses pistes semées par l'auteur, qui à plusieurs reprises nous présente à des personnages plutôt attachants, qui finalement disparaissent de manière assez brutale. Cette dimension de la construction narrative est en fait très sophistiquée car elle reprend une méthode centrale du roman policier tout en nourrissant l'un des arguments principaux du récit, à savoir l'idée que chacun à son rôle - ne serait-ce infime - à jouer dans l'histoire de notre monde, personne n'étant cependant irremplaçable.
Un des aspects les plus impressionnants de ce roman est l'évolution de son personnage principal, Raphaël Banes. Sa transformation au fur et à mesure du récit est absolument fascinante. Elle est d'autant plus crédible que l'auteur implique le lecteur au plus près des sentiments et des interrogations du personnage. Le lecteur ne peut qu'être sidéré face l'évolution de ceux-ci au fur et à mesure des rencontres, péripéties et traumatismes de Banes. Nous rappelant quelque peu, dans un autre registre, l'évolution saisissante du personnage de Walter White au fil des saisons de la série Breaking Bad, Philippe Cavalier nous livre un portrait précis, élégant et très humain de son personnage principal au travers de son évolution interne et externe.
Le roman est cohérent dans sa structure, malgré quelques longueurs et le sentiment que le récit aurait pu être achevé en 350 pages plutôt que 500. On peut également regretter la prépondérance que prend la dimension "fantastique" de l'histoire. Celle-ci n'est pas inintéressante mais elle contribue à deux problèmes de fond: d'une part, elle focalise le lecteur sur les problèmes posés par des individus aux pouvoirs maléfiques, ce qui a pour conséquence d'abandonner presque entièrement la discussion de substance autour des problèmes réels de notre société de consommation, ceux-ci étant abordés de manière très convaincante en début de récit. L'ennemi à combattre devient donc ces quelques individus destructeurs plutôt que les excès du système qui a permis leur apparition. Cette confusion est problématique pour un roman qui se veut a priori engagé.
D'autre part, il est quelque peu décevant que les aspects liés à l'environnement et au dérèglement climatique soient très peu abordés par l'auteur. C'est en effet l'autre conséquence négative de la centralité du fantastique sur le récit, mettant ainsi en scène des individus de type "mutants" (et donc imaginaires) comme causes principales d’événements tragiques affectant la population et leur environnement. Il est possible que l'auteur ait souhaité utiliser ces individus et leurs pouvoirs comme métaphores de la responsabilité des humains dans la destruction de leur planète, mais si c'est effectivement le cas, celles-ci sont difficilement accessibles et compréhensibles pour le lecteur.
Enfin, l’absence de personnages féminins au cœur du récit est invraisemblable et le portrait de celles qui y apparaissent est caricatural (absente et quasi-muette dans le cas de Farah, froide et calculatrice pour Iris van der Loor, hystériques et idéologues en ce qui concerne Leone, Dottie et Durell). Leur destin est rarement (voire jamais) indépendant de celui d'un personnage masculin, celles-ci demeurant dans leur condition de victimes et laissant aux hommes le soin de régler les problèmes. Les quelques femmes présentant un début de construction narrative intéressante sont une à une rapidement supprimées (Wen, Phoebe). D'ailleurs, aucun des "élus" aux étranges pouvoirs n'est une femme, mis à part une jeune fille initialement désignée, dont on ne saura pas grand chose puisqu'elle disparaîtra très vite, son pouvoir étant absorbé par un homme! Cet aspect est regrettable et affaibli grandement le roman.
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