** spoiler alert ** Une histoire fascinante sur une période historique méconnue et la rencontre improbable entre deux mondes, deux peuples. Dans un premier temps, Bernard Clavel nous transporte en Asie Centrale au cœur des mœurs d’une tribu et au moment d’une lutte de pouvoir interne. On rencontre très vite notre héros, Sadko, condamné à mort car il a osé remettre en cause la légitimité du chef, qui se fait vieux. Ce conflit et la survie miraculeuse de Sadko marquent le début d’un périple vers l’ouest. Sadko est convaincu que son destin se trouve près de la “grande eau” dont il a tant entendu parler et que celle-ci est synonyme de prospérité pour les siens. Il est suivi par une partie de son ancien village, qui voit en lui un leader méritant d’être suivi, chef naturel d’une nouvelle tribu à créer. Leur périple n’a rien d’un long fleuve tranquille. Nos exilés doivent faire face à la violence des intempéries et à l’hostilité de Mère Nature, qui met sur leur passage tantôt des ours affamés, tantôt une tempête dans laquelle ils risquent de toute perdre, y compris la vie.
L’écriture de Bernard Clavel est splendide. D’une fluidité rare, elle arrive à capturer la dimension épique de la quête de nos héros sans jamais la rendre triviale. Clavel arrive à nous faire ressentir les émotions des personnages lors de leurs terribles épreuves avec beaucoup de poésie et de finesse. On réalise également à quel point ce roman est bien documenté. Au-delà des moments forts en action, c’est l’authenticité du ressenti des personnages qui marque le lecteur. Clavel réussit à retranscrire le vécu des personnages de manière particulièrement convaincante à travers leur regard et leurs interpretations spécifiques au cadre historique et culturel dans lequel l’histoire se déroule: “Lorsqu’ils se retournent et que leur regard se perd sur l’infini de la steppe qui les rattachait à leur pays, la peur les envahit. Elle se lit dans leurs yeux. Ils savent tous que ce qu’ils ont quitté est un lieu à nul autre pareil. Les déserts qu’ils ont traversés et la violence de ce fleuve inconnu leur prouvent qu’ils ont laissé un paradis pour s’en aller mourir en des lieux où ne saurait vire aucune divinité de bonté et d’amour” (p. 82).
Le récit s’essouffle quelque peu dans le dernier quart du roman, donnant l’impression que l’auteur a du mal à trouver une issue au destin épique et tragique de nos cavaliers du Baïkal. Leur rencontre et assimilation aux Helvètes est intéressante, mais leurs interactions manquent de substance et leur projet commun manque de souffle. Néanmoins, l’auteur nous offre un récit illustrant de manière originale les sentiments si forts liés au déracinement et à la quête d’un nouveau chez soi. Enfin, le livre nous interpelle sur les labels que l’on a tendance à appliquer à ceux que l’ont perçoit comme étrangers, envahisseurs, barbares. Finalement, on est toujours l’envahisseur et le barbare de quelqu’un selon là ou l’on se trouve et ce vers quoi l’on se dirige. La citation d’Anatole France en préface est d’ailleurs particulièrement bien choisie et nous rappelle que “ce que les hommes appellent civilisation, c’est l’état actuel des mœurs et ce qu’ils appellent barbarie ce sont les états antérieurs. Les mœurs présentes, on les appellera barbares quand elles seront des mœurs passées.”
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